Basé en Irak, l’EI a été créé en 2004 en réponse aux invasions américaines, et a proclamé en juin 2014 l’établissement d’un califat. Contrairement à ce que son nom suggère, le groupe est loin d’être un Etat puisqu’il rejette l’idée même de frontières et d’institutions. Son idéologie sunnite extrémiste est étroitement liée à celle que prônait Al-Qaïda, et dans une moindre mesure, à l’idéologie des Frères Musulmans, au vu de son adhésion à l’ensemble des principes djihadistes. Marqués par un tournant radical, les agissements de l’EI lui ont toutefois valu la réputation d’une extrême brutalité, ainsi que la récente désapprobation d’Ayman al-Zawahiri , numéro 1 d’Al-Qaïda, ce qui est lourd de sens. Fort de son expansion rapide, le groupe a étendu son influence jusqu’en Irak et en Syrie, et a promis d’« éliminer les frontières de la Jordanie et du Liban pour libérer la Palestine », en tirant profit de la confusion régnant sur cette région et en annexant des territoires, laissant sur son passage des milliers de morts.
De récents rapports n’ont cessé de mettre en lumière les crimes insoutenables commis par l’EI, parmi lesquels des autodafés de bibles, la destruction de sanctuaires, lieux de cultes non Sunnites, textes sacrés, auxquels viennent s’ajouter de l’argent dérobé aux banques, l’enlèvement de militaires, l’incitation à la violence religieuse à travers la crucifixion, la décapitation, l’amputation et la torture d’innombrables minorités au Moyen-Orient. Cependant rares sont les médias qui ont attiré l’attention sur les milliers de femmes et d’enfants enlevés ou violés par l’EI, victimes de trafic humain ou de mariages forcés au cours des derniers mois.
L’ONU estime à 1 500 le nombre de femmes et d’enfants réduits en esclavage sexuel, donnés en « récompense » aux militants ou vendus comme esclaves, sachant que ce nombre est revu à la hausse par d’autres sources. De plus, les rapports ont révélé que des femmes britanniques enrôlées dans la « police » de l’EI étaient fortement impliquées dans la gestion de maisons closes où des Irakiennes enlevées sont exploitées au profit des combattants, comme l’étaient les « femmes de réconfort » pendant la Seconde Guerre Mondiale. Selon Mélanie Smith, chercheuse associée au Centre international d'études sur la radicalisation à l’université King de Londres, « ils se servent des femmes à leur convenance » car pour « les membres de Daesh, les femmes sont des objets sexuels appartenant à une race inférieure ».
Cette histoire est aussi écœurante que les meurtres commis par ce groupe, et ne pas leur donner autant de place dans les grands titres des médias n’a aucun sens. La cruauté envers ces femmes ne devrait pas être considérée comme un problème isolé ou comme un « problème de femmes » seulement parce que cela ne rentre pas dans les tactiques les plus courantes de guerre. C’est une tactique de terreur. Et c’est une période de conflits. On devrait donc lui prêter autant d’attention que les autres stratégies utilisées pas l’Etat islamique et ne pas l’étiqueter en tant que conséquence humanitaire du chaos au Moyen-Orient.
Au vu des conditions sur place, c’est évidemment difficile pour les organisations internationales et les autres gouvernements de rassembler de l’information sur ces crimes sexuels, mais cela n’excuse pas le fait qu’ils étaient au courant de ce qu’il se passait, sans pour autant en faire la priorité des médias. Les gouvernements dans la région sont restés silencieux sur ce problème, alors qu’ils se sont faits entendre sur les autres menaces que cause l’EI pour la stabilité régionale. Même si l’on met à part l’histoire des reportages médiatiques, les gouvernements de Syrie et d’Irak, tout comme les ONG ont été accusés de ne pas protéger les femmes en première ligne ou de venir en aide à celles qui avaient été abandonnées et apeurées. Pourquoi ?
D’après l’ex-analyste militaire de la CIA, Tara Maller, les menaces concernant les femmes et enfants sont, dans ce genre de situation, considérées comme un « soucis humanitaires » en comparaison avec les décapitations, bombardements et raids aériens qui eux sont vus comme « des problèmes de sécurité graves ». Mais le viol est aussi utilisé comme arme de guerre. Maller souligne également que, si ce sujet n’a pas été reporté médiatiquement, c’est parce que les étudiants en sciences politiques reçoivent des cours sur les violences sexuelles dans des classes de féminisme ou d’étude de genre plutôt que dans des cours sur le terrorisme ou la guerre. Ainsi, on n’associe pas directement les violences sexuelles commises en temps de guerre comme faisant partie des stratégies de guerre, alors que c’en est une, très clairement. Par conséquent, et étant donné le peu de mobilisation contre ces problèmes, considérés comme inutiles dans la reconnaissance des progrès des services de renseignement sur la lutte contre l’ennemi, les législateurs n’étudieront pas ou ne porteront pas assez d’attention à ce sujet.
Le plus choquant est que ces crimes sexuels sont commis par des hommes et des femmes qui ont rejoint l’EI ou collaborent depuis l’étranger, des pays de l’Ouest, des pays où le progrès a permis d’atteindre des valeurs universelles qui lient les civilisations, des pays où les problèmes de genre ont évolué ; des pays dans lesquels il est inenvisageable de traiter une femme de la sorte. Des pays et des hommes qui doutent profondément que ces crimes reflètent l’exécution des codes de modestie et de comportement du temps de Mohammed et ses disciples, comme l’Etat islamique l’affirme.